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CHRONOLOGIE

Voir détails des courriers ci-dessous. Bientôt plus d'info.

 

8 Juin 2006
Communiqué de presse des auteurs : le groupe Mahaleo, Marie-Clémence & Cesar Paes, Raymond Rajaonarivelo

Le film MAHALEO a été diffusé Lundi de Pentecôte 5 juin 2006 sur la chaîne privée Malagasy Broadcasting System.

Les détenteurs des droits du film, le groupe Mahaleo, les auteurs-réalisateurs et les producteurs, désirent protester fermement et publiquement contre cette diffusion abusive.

MBS a non seulement diffusé ce film sans autorisation et sans en avoir acquis les droits de diffusion, mais elle casse de fait un contrat d'exclusivité de première diffusion en 2007 détenu par ARTE et TVM (la télévision publique malgache). 

En s'arrogeant ce droit, la société MBS a montré qu'à Madagascar aujourd'hui on peut piller le patrimoine cinématographique et musical au vu et au su de tous.
  
Depuis des années, on voit à la télé malgache des block-busters hollywoodiens récents, diffusés avant même leur sortie en salles en Europe. On se souvient vaguement de cette ambassadrice américaine qui avait officiellement interpellé le gouvernement malgache quand "Titanic" avait été diffusé à la télévision, avant sa sortie en salles. Mais depuis, plus rien. Le piratage est redevenu une activité bien "normalisée" sur le réseau hertzien de Madagascar. Tout le monde s'en balance : les chaînes capitalisent leur audience grâce au piratage, et les annonceurs annoncent, sur des cases de programmes que les "consommateurs" regardent. Cette lamentable situation nous fait penser à cette très belle chanson des Mahaleo justement intitulée "Tsy miraharaha" (“On s’en fout”)
  
ny fiarahamonina/tsy miraharaha/aleony mionona/tsy miraharaha/Fomba mahazatra e/ny tsy miraharaha/isika gasy lasa/tsy miraharaha/O ry aba, o ry Endry/loza ity, ny firaisankina ve/O ry aba, o ry Endry/natakalo vola satria tsy manankery/O ry aba, o ry Endry/ tena loza ity, ny fahendrena very/ O ry aba, o ry Endry/ny mahagasy mihintsy no efa tsy miteny”
 
(“Le voisinage s’en fout/Les gens s’en foutent/Est-ce devenu une coutume/De s’en foutre ?/Et nous Malgaches, on s’habitue/On s‘en fout/ô père, ô mère/Nous sommes perdus/Notre fierté d’être Malgaches ?/Qu’on n’en parle plus”)

Cette déréglementation ruine de fait tout espoir de voir un jour se développer une industrie culturelle économiquement viable à Madagascar. Les artistes malgaches, qu'ils soient auteurs, musiciens ou cinéastes, pourront-ils un jour vivre de leur travail ? Ou sont-ils condamnés à s’expatrier dans des pays qui leur garantissent la protection de leurs droits ?

Est ce qu'on va pouvoir avancer et être un jour une nation respectée au sein de la communauté internationale si le vol et le recel des oeuvres est pratiqué en toute impunité, et en connaissance de cause ?

les auteurs, les musiciens et producteurs de
Mahaleo - le film
info@mahaleo.com

 

8 Juin 2006
Réponse de MBS par e-mail

Madame, Monsieur

Bonjour,
Nous avons diffusé ce documentaire,suite à une demande nombreuse de
nos téléspectateurs,sans but lucratif mais au seul but de les satisfaire.
Toutes nos excuses,toutefois si effectivement,nous n'avons pas pris
autorisation auprès de vous avant cette diffusion,décision prise en
toute innocence.

 

22 Juin 2006
Lettre recommandée du directeur général de MBS à Laterit Productions

objet : réunion avec la TVM et l'OMDA

Madame,
Faisant suite à notre conversation téléphonique du 13 juin dernier, nous vous transmettons ci-joint les procès verbaux issus des réunions de la MBS avec l'Office Malgache des Droits d'Auteur et avec la TVM.

Encore une fois, Madame, nous réitérons ici nos excuses pour le désagrément que pourrait engendrer cet incident. Nous tenons également à vous adresser nos vifs remerciements, ainsi qu'au groupe Mahaleo et à la TVM, pour votre compréhension. Ce geste très important que nous apprécions, croyez le Madame, à sa juste valeur, nous aidera à oeuvrer encore plus dans la promotion des artistes à Madagascar.

Veuillez agréer, Madame, nos très hautes considérations.

Andriamiadanarivo Haja Fredy

 

8 Juillet 2006
Lettre de Laterit Productions au Ministre de la culture de Madagascar, Mr Jean-Jacques Rabenirina

Monsieur le Ministre,

objet : Respect du droit des auteurs et du code de la propriété intellectuelle à Madagascar.

C'est à regret que je prends contact avec vous afin de vous alerter d’un problème grave : le film "MAHALEO" de Rajaonarivelo & Paes, dont je suis la productrice, a fait l'objet d'une diffusion non-autorisée sur la chaîne de télévision privée Malagasy Broadcasting System le 5 juin 2006. Ni les auteurs, ni les musiciens, ni le producteur n'ont été sollicités pour donner leur accord préalable à cette diffusion. Incident révélateur de la situation particulièrement préoccupante des auteurs et producteurs à Madagascar, du fait des entreprises de communication audiovisuelle privées.

D'après la direction de la chaîne  MBS, il s'agirait d'un acte isolé et malencontreux, dû au désir de bien faire d' un jeune programmateur qui aurait pris la décision de diffuser un VCD illicite emprunté à un ami , sans consultation de sa hiérarchie. Vous comprendrez j'en suis sûre que cette réponse n'est pas acceptable de la part d' une chaîne privée de cette envergure, qui se décrit elle-même comme "une des plus grandes stations audiovisuelles de l'océan indien et qui occupe la première place en audimat et en couverture géographique à Madagascar".

Nous savons tous qu'il ne s'agit pas d'un acte isolé, mais d'une habitude, qui donne le mauvais exemple à tous. Qui perpétue l'idée que les oeuvres de l'esprit n'ont pas de valeur, et peuvent donc être utilisées n'importe comment et par n'importe qui, sans aucun respect pour leur auteur. Cette situation est non seulement dommageable pour les artistes malgaches, qui ne peuvent espérer vivre de leur art, mais pour toute une économie de la culture (des producteurs aux consommateurs) qui ne pourra jamais se développer dans de telles conditions.

Ce film est une co-production internationale . Pour pouvoir le financer, j'ai dû céder l'exclusivité des droits de diffusion pour chaque territoire, et garantir la primeur de diffusion pour chaque media, selon les régles de chronologie de diffusion du secteur cinématographique mondial. Le respect de cette chronologie est essentiel pour la survie de chacun des acteurs économiques du secteur cinématographique et audiovisuel. Ainsi nous l’avons tout d’abord sorti en salles de cinema en France , à Madagascar et aux USA en 2005 ; Le DVD n’a été édité qu’au bout des 9 mois de carence. Les chaînes de télévision à péage ont,  elles,  attendu les  12 mois réglementaires avant de le diffuser et enfin les chaînes co-productrices en clair devront attendre 24 mois après la sortie en salles avant de le montrer aux téléspectateurs. Ces délais sont explicites dans tous les contrats que j’ai signé.

Ainsi, les chaînes à Péage, Canal + et Multi-TV Afrique détiennent l'exclusivité de diffusion jusqu'à Mars 2007,  ARTE France/Allemagne à partir de Mars 2007, et TVM , notre partenaire à Madagascar n’a contractuellement le droit de le diffuser qu’ à partir de Juillet 2007. Sans ces partenaires ce film n'aurait jamais pu voir le jour.

La diffusion sur MBS vient en violation des termes de ces 3 contrats d'exclusivité, me plaçant dans une situation particulièrement délicate vis à vis d'eux.  Il ne s'agit pas pour moi de tirer profit de cette situation . Ma démarche vise essentiellement à vous demander que ce problème du respect du droit des auteurs et du code de la propriété intellectuel fasse désormais l'objet d'un débat public et que la loi soit mise en conformité avec les conventions internationales et mise en application, pour que tous : public, opérateurs privés, presse et professionnels du cinéma à Madagascar puissions prendre conscience de la valeur des oeuvres et du droit au respect qui doit être attaché à ces oeuvres.

La protection du droit d'auteur contre toute forme de piratage est particulièrement essentielle pour le développement de la culture malgache et le rayonnement de Madagascar à l'extérieur.

Nous sommes convaincus que Madagascar possède les talents artistiques pour développer le cinéma mais il est évident que dans ce contexte, les auteurs-réalisateurs malgaches ne peuvent envisager d'en faire leur activité, privant ainsi le pays d'une image artistique internationale.

La participation de votre ministère à ce débat, nous apparaît essentielle pour en assurer la pérennité sous la forme d'un dispositif législatif, réglementaire et administratif efficace.

Nous sommes prêt à participer à ce débat public et, nous tenons à votre disposition pour la suite que vous voudrez bien donner à la présente.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l'assurance de notre plus haute considération.

Marie-Clémence Andriamonta Paes
Producteur délégué

Pour Information, copie à  :

Monsieur l’Ambassadeur de Madagascar en France
DIRM
TVM
OMDA
MBS
TV+
Record
Ravinala
Ma TV
RTA
OTV
Canal+
ARTE France cinéma
Cobra Films
Le Groupe Mahaleo
INA
Représentation permanente de Madagascar auprès de l’UNESCO
Monsieur l’ambassadeur de France à Madagascar
CCAC
Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle
Centre National du Cinéma
SCAM
SACEM

 

13 juillet 2006
réaction de Jean-Claude Rabeherifara

RESTONS INTELLIGENTS

La diffusion abusive, le lundi de pentecôte dernier, du film Mahaleo par la chaîne privée MBS, fleuron des media privés présidentiels, était-elle vraiment une bourde ? N’aurait-elle pas plutôt été une provocation engagée et orchestrée avec un cynisme inouï que les quelques misérables précautions oratoires d’après-coup (notamment dans cet incroyable communiqué d’"excuse" minaudant que "suite à une demande nombreuse"... pour "satisfaire les téléspectateurs"... "en toute innocence"... "buts non lucratifs" etc.) ont essayé de masquer pour faire avaler la pilule ?… Le vice dans l’affaire est cette opposition insidieusement créée entre l’"opinion publique" et les porteurs du film... Attention, car le recours au peuple-alibi est une constante des tyrannies ! Mais ce qui est insupportable, par ailleurs, c’est la pratique du fait accompli ("tian-kano, tsy tian-kano").

Ce forfait a l’air d’être un piège grossier pour "se payer" un travail esthétique et critique (majeur) sur le groupe Mahaleo, composante essentielle d’une modernité malgache bien alternative à celle que la bien-pensance dans ce pays enfourche d’une république à l’autre, d’un régime à l’autre. Cette maltraitance a probablement visé à émasculer ce film. Car le ravaler au rang d’un vulgaire objet télévisuel de consommation c’est le vider de tout son potentiel.

En effet, voilà un docu qui nous livre les portraits croisés, intimes et poétiques, de Madagascar et du groupe Mahaleo : une Madagascar hors-clichés, digne, combative, attachante mais très loin du tourisme et de tout ce dont les professionnels de la comm’ et de la pub nous saoulent en "vendant" ce pays ; d’autre part, une légende vivante du blues malgache, le groupe atypique Mahaleo qui a constamment cheminé avec les mouvements sociaux (j’insiste !) de cette Grande Ile depuis mai 1972. Voilà un film qui pose habilement les questions du rôle des artistes des pays dominés, des rapports Nord-Sud, du "développement durable", du combat pour acquérir l'eau etc. Un film qui perce à l’international, surtout, et s’apprête à dialoguer largement avec son public potentiel à Madagascar. Mine de rien donc, un démenti au malgacho-pessimisme encroûté tout en étant un contre-pied au béni-oui-oui libéral ambiant... Très politiquement incorrect tout cela...

Ce forfait n’est pas fortuit mais s’inscrit dans une logique qui est dans l’air du temps, celle du libéralisme. D’ailleurs, pourquoi aurait-on dû se gêner ? Par professionnalisme ou au nom de l’éthique ?… Vous n’y pensez pas ? On a eu là, tout bêtement, une mise en œuvre très aboutie du "Samy mandeha samy mitady" (autrement dit : la loi de la jungle), pensée unique déclinée de façon récurrente depuis le tournant libéral ratsirakiste.

La posture que les réalisateurs et les producteurs ainsi que les Mahaleo eux-mêmes ont d’emblée prise de rester sur les terrains du droit et des principes est bien la seule pertinente et cohérente car il faut veiller à ne pas prêter le flanc aux récupérations politiciennes d'où qu'elles viennent : nous sommes effectivement en pré-campagne électorale et, dans cette affaire, les uns ne glosent-ils pas déjà soit sur le sempiternel "compromis à la malgache" ("samy gasy", entre Malgaches !) soit sur la "réparation" (après une repentance bien chrétienne qui ne mange pas de pain !) quand d’autres, faux-culs comme il n’est pas possible, enjoignent d'"attaquer, attaquer, attaquer !" comme s'ils donnaient des ordres à leurs pitbulls ?...

En tout cas, cette affaire de diffusion abusive de Mahaleo-le film est révélatrice, au premier abord, d’une immaturité généralisée en matière de défense des droits des créateurs... immaturité permissive aux immobilismes et passivités ambiants. L’"Affaire" est bien sûr révélatrice, plus fondamentalement, d’un manque donc d’un grand besoin de citoyenneté et d’éthique. En clair, besoin de clarté et de transparence des règles. Besoin de respect et d’accès réel aux droits. (Rien à voir avec les incantations moralisatrices-religieuses des ligues de vertu et des idéologues officieux et officiels.) Besoin de rompre avec la loi de la jungle. Besoin de laïcité vraie, garantie de pluralisme et de liberté d’expression sans exclusive.

Mais il faut un débouché utile à cette "Affaire"... Ne serait-il alors pas judicieux que se concertent et se coordonnent désormais tous ceux qui sont concernés (et à l’exclusion de toute autre préoccupation, politicarde notamment, j’insiste !) par la recherche et la mise en œuvre active d’une cohérence et d’une transparence effectives dans l’accès des créateurs à leurs droits matériels et moraux dans notre pays : artistes des différents domaines, artisans, travailleurs intellectuels, syndicats de travailleurs, réseaux de société civile, professionnels des medias etc. ? Je propose, dans l’affirmative, que soient construits et rendus opérationnels un site et un forum strictement dédiés à cette démarche unitaire et constructive… Les porteurs de Mahaleo-le film (les réalisateurs, Laterit production, les Mahaleo etc.) en sont pour moi les initiateurs tout trouvés mais rien n’interdit de voir d’emblée plus large.

Ne laissons pas les politicailleries et l’affairisme saborder les perspectives d’émergence d’industries culturelles indépendantes dans ce pays qui en a tant besoin pour l’aider à tenir voire s’en sortir face au rouleau compresseur uniformisateur et contre-créateur de la mondialisation libérale... PLUS QUE JAMAIS, S’IL VOUS PLAIT, RESTONS INTELLIGENTS...

Jean-Claude Rabeherifara
(13 juillet 2006)